- ‘ATTAR
- ‘ATTARPoète persan du XIIe siècle, ‘A r fut un maître, car s’il rassemble les conceptions évoluées d’un milieu de spirituels cheminant vers le mystère divin, son but est de guider. Il décrit une expérience qui lui semble concerner la condition humaine tout entière, celle de l’homme qui, pour cesser d’être dérouté, doit entreprendre vers le fond de l’âme un itinéraire périlleux; il veut le conduire à briser les limites de son individualité en s’universalisant dans l’océan divin. L’une des forces de ce guide est la qualité de son expression poétique: ‘A r a été très lu sur l’aire alors étendue de la langue persane.Le fils du parfumeurLa personnalité d’‘A r n’est saisissable qu’à travers son œuvre, les événements de son existence nous restant voilés. Il vécut à une époque où, en chrétienté, on édifiait le peuple en composant hagiographies, recueils de miracles et drames. Il passa sa vie à Nesh p r, la ville de ‘Omar Khayy m, alors centre vital du Khor s n, qui conserve la tombe de ‘A r, 1190 est la date supposée de sa mort. De son père il avait hérité un commerce de parfums, d’onguents et d’épices; ‘A r désigne celui qui tient un tel commerce; Far 稜d al-D 稜n en fit son nom d’écrivain. Rien n’indique qu’une conversion le fît renoncer à cette profession, car il était conseillé d’en exercer une; ‘A r dut la trouver compatible avec une vie religieuse exigeante à laquelle il pensa dès son enfance.Parmi les personnalités influentes à l’époque de ‘A r, il faut citer Nadjm al-D 稜n Kubr . Celui-ci, s’étant détaché de l’étude théologique, rentra en sa ville natale de Kh 稜va, au sud de la mer d’Aral, pour se consacrer à la vie religieuse; il eut de nombreux imitateurs. Son enseignement reprenait celui de l’école de Nesh p r sur les stations du chemin vers la connaissance, et s’attachait à analyser l’expérience visionnaire. Il eut parmi ses disciples un maître de ‘A r, Madj al-D 稜n Baghd d 稜, probablement aussi le père du célèbre Djal l al-D 稜n R m 稜. San ’i, qui appartenait à la génération précédant celle de ‘A r, composa le premier, en persan, de longs poèmes de caractère moral et mystique ; Djal l al-D 稜n R m 稜, né à Balkh en 1207, aimera se dire le continuateur de San ’i et de ‘A r.L’art de digressionVingt-cinq ouvrages ont été attribués à ‘A r. Certains sont manifestement apocryphes; mais, par rapport à ceux qui semblent bien authentiques, un groupe d’écrits présente une évolution stylistique (prolixité et manque d’ordre en particulier) et un rétrécissement de la sphère d’intérêt tels que leur authenticité est pour le moins «incertaine» (H. Ritter); Hall dj y devient un personnage central, modèle de l’homme anéanti et déifié. On ne parlera ici que des œuvres incontestablement authentiques de ‘A r.Attiré dès son enfance par le récit de la vie des saints, ‘A r composa une grande œuvre en prose: le Mémorial des hommes de Dieu , où, sans donner ses sources, il rapporte, dans un style rappelant celui des Fioretti , les dits et faits de soixante-douze saints; certains manuscrits contiennent la biographie de saints postérieurs à Hall dj. Plus généralement, on n’entre dans l’œuvre de ‘A r qu’en traversant de nombreuses anecdotes (on en compte 150 dans Le Langage des oiseaux ), greffées habituellement sur des récits continus, mais non sans méandres. Il devait par là toucher un large public. Le récit allégorique est un fait central dans son œuvre, mais ‘A r a laissé plus d’une fois déborder son talent de fabuliste. Par l’analyse de quatre œuvres majeures, H. Ritter a pu montrer combien les conceptions spirituelles qui soutiennent récits et anecdotes sont organiquement liées.Poésie et mystiqueLe Langage des oiseaux est un poème déjà bien connu. Son titre est coranique (XXVII, 16, cf. 20). Avicenne avait composé un récit initiatique sur ce thème de l’oiseau, symbole de l’âme, pris aux filets du monde, retournant par degrés vers son roi. Ahmad Ghaz li écrivit à son tour, en persan, un récit sur le pèlerinage des oiseaux vers leur roi; il insistait sur les épreuves du chemin, mais son récit manquait la passe de l’initiation: l’accueil du roi n’était qu’une grâce accordée aux oiseaux terrifiés. ‘A r reprit ces descriptions, accentua le caractère initiatique du récit avicénien. On sait l’histoire: les oiseaux se rassemblent pour choisir un roi; la huppe, expérimentée dans les voies spirituelles, leur désigne Simorgh, l’oiseau «proche de nous et dont nous sommes éloignés». Elle les entraîne à franchir sept vallées: Recherche, Amour, Connaissance, Indifférence, Unification, Stupeur, Anéantissement. Finalement, les trente (s 稜 ) oiseaux (morgh ) qui ont su franchir les vallées et dépasser le choc du Numineux se découvrent eux-mêmes S 稜morgh : au terme du cheminement, c’est «le mystère de son propre soi-même» (H. Corbin) qui est révélé à l’individu anéanti.Le Livre divin , autre long poème, a pour thème central le renoncement. Un roi invite ses fils à exprimer ce qu’ils souhaitent; ce sont des désirs tout mondains; le roi leur enseigne à les transmuer en désirs des biens qui ne passent pas. Le récit s’achève sur l’éloge de la résignation et du silence de l’âme dépouillée et confiante. Le Livre de l’adversité , poème de près de 7 000 distiques, est le récit du voyage de l’âme autour de sa clôture. Elle questionne les entités mystiques, cosmiques et naturelles. Dans la douleur de la recherche, elle en vient à reconnaître que l’homme en sa corporéité n’est pas l’homme proprement dit: celui-ci est «secret divin et âme pure»; ainsi, chercher Dieu, c’est chercher son vrai soi en questionnant le monde. Ici, Dieu n’est plus même signifié symboliquement.Le Livre des secrets , moins étendu et sans construction apparente, traite en douze sections de notions classiques dans le soufisme. Le Divan est un grand recueil de poèmes dont l’enseignement reste à inventorier; un nombre important de ces poèmes sont de courtes pièces où l’expression symbolico-mystique est riche et capable d’enthousiasmer. Les disciples de R m 稜 ont commenté plusieurs de ces poèmes. La sortie du monde par immersion dans l’âme en constitue un thème important. Un recueil de Choix semble devoir être attribué encore à ‘A r. On y trouve groupés en cinquante chapitres des quatrains consacrés au thème de l’amour; plusieurs de ces beaux quatrains ont été par la suite attribués à ‘Omar Khayy m.Les autres œuvres signées de ‘A r sont d’au moins deux homonymes du grand mystique; ils vécurent l’un au XIIIe siècle et l’autre au XVe siècle.La mort est l’un des pôles de la pensée de ‘A r. À ses yeux, elle consacre le caractère éphémère de la vie terrestre. L’homme dans le besoin et la douleur n’a d’autre source de connaissance que son âme; il y découvre que seule la vie de l’au-delà a une valeur. Dans le renoncement au monde, il troque le mal contre le bien, il triomphe de la peine par la pauvreté, la patience. L’autre pôle de la pensée de ‘A r est que, hors de Dieu, rien n’existe vraiment; il faut donc chercher la proximité de ce Dieu intérieur à l’âme, dont il est le vrai soi. ‘A r est un homme qui chercha dans un dramatique voyage intérieur à coïncider avec un soi-même senti comme divin.
Encyclopédie Universelle. 2012.